Article de Franziska KUTZICK

4° de couverture du livre Depuis les marges: Les années 1940-1960, une époque charnière (collectif sous la direction de Daniel Bengsh et Silke Segler-Messner). Erich Schmidt Verlag, Berlin, 2016.

L’objectif du recueil est de reconsidérer la période de 1940 à 1960 à partir de ses marges et de l’appréhender comme une époque charnière qui met en crise le roman. D’un côté, les textes de ces années-là gravitent autour de la question de la transmission des coupures traumatiques telles que l’expérience de la guerre et des camps. De l’autre côté, on peut saisir les conceptions de la narration et du personnage sous le rapport de la narratologie et du genre. Ainsi les contributions tentent d’explorer les changements dans le champ littéraire de l’immédiat après-guerre en se focalisant sur des écritures nouvelles et des auteurs jusqu’à présent peu reconnus.

Franziska Kutzick : « Pour une écriture de la douleur à l’ère du soupçon : L’Affamée de Violette Leduc »

 

Prenant comme point de départ la polémique autour du statut de « d’écrivaine marginale », statut contesté à la sortie du film de Martin Provost, Franziska Kutzick s’attache à déceler les ambigüités de Violette Leduc qui contribua à construire sa propre réputation d’écrivaine maudite. Mais qui est Violette Leduc, sinon une écrivaine qui bâtit son propre personnage dans et par le texte ? D’où vient l’impulsion fondamentale de l’écriture, cet énergie sombre et cette douleur, puisque telle est la clef de son oeuvre ?

Dès L’Affamée, une des premières oeuvres publiées (1948), on perçoit que le dit du moi produit une écriture si originale qu’elle ne sera rejointe que quelques années dans les textes de Sarraute et de Robbe-Grillet.

Francizka Kutzick appuie fermement son étude de L’Affamée sur les écrits théoriques de ces derniers : comment écrire la douleur après la Shoah ? s’interrogeait Robbe-Grillet dans Pour un Nouveau Roman. Comment dire ce « je » flou et douloureux sans cesse en quête d’expression mais soumettant tout discours au « soupçon », écrit Nathalie Sarraute proche en ce sens, plus qu’on ne peut le croire, de Violette Leduc.

L’Affamée pose, « de l’intérieur » le problème du discours du sujet. Un sujet inconsistant au départ puis poussé par « la faim », par le vide, par cette coupure qu’il opère, d’un coup de hache, entre soi et l’Autre. Simone de Beauvoir est la présence de l’Autre dans le corps de l’écriture et cela produit, sans théorie aucune mais de manière forte, une des plus grandes réflexions sur l’acte d’écrire du XX° siècle. Francizka Kutzick a su le démontrer, brillamment