Au Temps sublime de Louise Amanda D.

Au temps sublime de Louise Amanda D.

Compte-rendu

« J’ouvris La Bâtarde et lus les premières phrases. C’était donc ainsi qu’on écrivait un roman ? En mettant simplement l’écriture en marche ? »

Avant d’être un roman sur l’errance amoureuse, la douleur de la séparation et le plaisir cathartique, Au temps sublime traite l’usage de la littérature et en particulier celui des livres de Violette Leduc. Pour Louise Amanda D., la littérature ne consiste pas seulement à raconter des vies, mais aussi à indiquer des voies. Les livres de Violette Leduc constituent pour sa narratrice des pierres d’angle, des chances, des survies. L’Asphyxie, L’Affamée, Ravages : des portes cachées au fond des impasses. La narratrice d’Au temps sublime les pousse, l’une après l’autre, page après page, trouvant là un passage, là de l’espace.

Violette Leduc se représentait en « sentinelle aux portes de la littérature ». La narratrice d’Au temps sublime habite elle aussi une marge, « bâtarde » dans une langue qui ne la reconnaît pas. « L’homme regarda à nouveau mon passeport », rapporte-t-elle au début du livre. « Il se mit à me poser beaucoup de questions ». Venue entreprendre un doctorat en Europe, la jeune femme est refoulée par les agents de l’Immigration français et doit retourner au Québec où elle a vécu un amour qui n’est plus. Pendant neuf mois, elle travaille à « oublier H. », guidée par la voix de Violette Leduc, s’aventurant dans les voies tracées par ses livres. « J’avais lu L’Affamée à Rennes dans une chambre de Cité U. Je m’étais engoncée dans les décors surréalistes, la passion, le désespoir, la paranoïa sans savoir que je me fabriquais mon propre événement ».

Dans la seconde partie du roman, la narratrice plonge dans la nuit enfiévrée de Thérèse et Isabelle, sur les pas de Violette Leduc œuvrant, intrépide, à écrire la jouissance féminine. Mais Isabelle/H est partie et la narratrice/Thérèse cherche à se délivrer de son absence. « J’oublierai H. Je voulais retrouver le désir puissant, le désir sans, le désir avant H., le désir seule et plonger dans un scintillement orgasmique ».

Violette Leduc avait de son vivant parfaitement conscience de frayer une voie dans la littérature en inventant une langue capable de dire les sensations et émotions ressenties par une femme dans l’amour physique. « Il n’y a pas une femme Henry Miller, pas une femme Jean Genet. Je souhaite être un exemple dans l’avenir pour des jeunes filles qui écriront et qui voudront peut-être et pourront aller plus loin que moi », expliquait-elle. Louise Amanda D. compte parmi celles-là. Au temps sublime poursuit l’exploration littéraire et érotique initiée par Violette Leduc et le fait dans une langue éblouissante.

Anaïs Frantz

Sur Louise Amanda D., Au temps sublime, Saguenay (Québec), éd. La Peuplade, 2022, 256 pages

Louise Amanda D. est née en Guinée en 1987. Elle est artiste visuelle et autrice et vit actuellement au Québec. Au temps sublime est son premier roman.