L’HERNE Sachs

Les Cahiers de L’Herne, 2016.

Dans ce passionnant numéro des Cahiers de L’Herne consacré à Maurice Sachs et dirigé par Henri Raczymow, les multiples aspects de la personnalité pour le moins trouble, mais aussi brillante, de Maurice Sachs apparaissent au fil de l’étude des relations que l’homme de lettres entretenait avec son milieu. Il est intéressant de voir que Sachs se définissait aussi bien dans sa relation d’admiration avec Jean Cocteau ou Jacques Guérin- pour citer deux amitiés masculines- que dans les rapports de rivalité, n’excluant pas un certain mépris, qu’il entretenait avec les femmes, telles Madeleine Castaing ou Violette Leduc.

Carlo Jansiti, le biographe incontesté de Violette Leduc et proche de Jacques Guérin, dispose d’éléments inédits pour juger de ces relations, et pour compléter le portrait de Sachs, déjà très complexe, effectué dans L’Herne.

Dans l’article consacré à Jacques Guérin, Carlo Jansiti met en exergue les deux caractères opposés de Jacques et de Maurice : droiture et rigueur de l’un, humilité et louvoiements de l’autre. Comme à l’égard de Cocteau, Sachs adopte volontiers une posture d’infériorité vis-à-vis de ses prestigieux et puissants amis.

Par contre, vis-à-vis de Violette Leduc, une des femmes avec lesquelles il aura eu une relation des plus profondes et intimes, il se montre d’une misogynie exemplaire et tristement caricaturale.

Carlo Jansiti dispose de sources documentaires tout à fait éclairantes pour évoquer l’histoire de leur relation : un passage inédit de l’Asphyxie, d’une quarantaine de pages manuscrites qui seront, à la demande de Simone de Beauvoir, supprimées de l’édition finale. En 1945, « l’affaire Sachs » et les obscures circonstances de sa mort étaient encore vivaces dans les esprits. Carlo Jansiti nous dévoile aussi certaines lettres à Yvon Belaval, l’ami fidèle, écrites d’Allemagne, lettres qui viennent préciser le point de vue de Sachs sur Violette Leduc. Enfin, parallèlement à la publication, toujours dans ce numéro de L’Herne, du cruel portrait de « Lodève », extrait du Tableau des mœurs de ce temps, Carlo Jansiti se réfère à la première page annotée de la main de Violette Leduc, sur son exemplaire personnel : « pourquoi ce portrait, Maurice ? » s’indigne-t-elle.

Qu’apprend-on également dans cette étude de Carlo Jansiti ? Tout d’abord l’importance de la première rencontre, en 1938, dans une maison de production. L’intelligence et la sensibilité de Leduc, simple standardiste, frappe l’homme de lettres. Très vite, ils se rendent de mutuels services où il est beaucoup question d’argent… Déjà. Violette est amoureuse, certes, mais dans le chapitre inédit de l’Asphyxie elle remarque que chez Sachs même « sa gentillesse est une escroquerie. »

Eté 1942 : Anceins. Le couple mal assorti ne s’entend pas si bien que cela. La « scène du pommier » que tous les lecteurs de la Bâtarde connaissent, se double d’une certaine amertume dans les pages, retirées plus tard, du manuscrit que Leduc commence sur les conseils de Sachs. A l’inverse de ce cri d’amour déçu, les lettres de Sachs envoyées d’Allemagne à Yvon Belaval, révèleront le mépris qu’il éprouve pour Violette Leduc. Mépris pour la personne plus que pour l’écrivaine en herbe dont il a deviné que son talent surpasserait un jour le sien : « les femmes sont pesantes, même les meilleures et mes relations avec Violette qui pourraient être charmantes sont en fin de compte bien difficiles […] ce qui m’irrite et m’exaspère même c’est son besoin d’être autre chose. Elle était faite comme la plupart des femmes pour être baisée, faire des enfants et des économies. Là-dessus, elle n’accepte que les économies […] » Ainsi écrivait Sachs en 1943.

Puis vient l’affaire du certificat de grossesse, relatée dans La Bâtarde, et qui demeura, durant toute sa vie, un objet de remords pour Violette Leduc. L’on apprend, toujours grâce à une lettre de Sachs à Belaval, qu’au moins Sachs n’aura pas su la vérité : Violette lui a écrit qu’elle avait « échoué auprès du docteur » et non pas qu’elle avait jeté le certificat de grossesse au feu, ce qui est la triste vérité, racontée dans La Bâtarde.

Les relations entre Violette et Maurice sont qualifiées par Carlo Jansiti « d’amitié étincelante et noire ». Mais elles nous laissent, au vu de ces nouveaux éléments, le sentiment amer d’une relation manquée, marquée par l’amour impossible de Leduc face à l’incroyable misogynie de Sachs.

Mireille BRIOUDE.