Sélectionnés par Gilles Gony, membre de l’Association des amis de Violette Leduc, voici les deux pages où l’auteur fait allusion à Violette Leduc.
Journal intégral (1953-1986), de Matthieu Galey, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2017
p. 280-281
« 25 octobre 1954
Marie-Laure[1] s’invite à dîner ici, avec J.C. Jany, Alexandre. Elle apporte des victuailles mais pas de Champagne pour ne pas inciter Marion à la tentation… Aussi le repas est-il un peu morne. […]
[… p. 281]
Elle visite la maison, hume les livres, me parle de ceux qu’elle a lus cette semaine : Simone de Beauvoir, Cabanis, Violette Leduc. Un bon choix. Une des rares femmes du monde qui lisent vraiment, avec intelligence. Rare.
[…]
Cette visite est vraiment celle d’un personnage de la comtesse de Ségur chez une ancienne bonne nécessiteuse. Mais j’admire le tact de Marie-Laure, qui n’en laisse rien paraître, et prolonge très décemment une soirée sans éclat.
[…]
Il y a aussi, chez Marie-Laure, une façon de nous parler comme à des enfants un peu demeurés. Cette affectation de trouver n’importe quoi merveilleux, charmant, mignon comme tout. Cela relève de ce même sentiment de demi-culpabilité, de cette volonté de se mettre à notre niveau social. Par assimilation, elle transpose : elle devient une adulte qui parle à des gosses et s’efforce de leur tenir un langage à leur portée. D’une autre, ce serait odieux. »
p. 766
« 23 novembre [1984]. Dans le train pour Le Beaucet
Démeron[2]. Jadis, il avait un visage aigu, très xviiie ; la vie l’a empâté dans un personnage à la Pickwick, gros mangeur aimant les viandes rouges et les vins fins… L’esprit reste vif, toujours aussi enchanté de ses propres trouvailles. Il est très fier de certains à-peu-près, dont le fameux “Tom Proust”, appliqué à Rinaldi. Mais ce genre de saillie ne va pas sans inconvénients : ayant de nouveau agressé Angelo à la télévision – curieux comme ces polémistes supportent mal qu’on les blesse avec leurs propres armes – le voilà qui vient déjeuner en rasant les murs ; Rinaldi, courroucé, l’a menacé d’une “explication entre hommes”.
Je lui parle de Violette Leduc, sa grande amie d’autrefois. Mais il me rappelle qu’ils s’étaient brouillés peu de temps avant sa disparition : elle n’appréciait pas son insistance à lui ouvrir les yeux sur l’inexorable gravité de son mal.
“Vous comprenez, dit-il, presque sincère sous le cabotinage, je ne supporte pas l’hypocrisie ! Cette affectation ridicule de ne pas croire à son cancer !”
Violette sera morte mouchée par ce dandy du stoïcisme ! Il n’en éprouve aucun remords ; c’est sa morale. Se l’appliquera-t-il à lui-même, le moment venu ? Qui mourra verra. »
[1] Marie-Laure de Noailles, petite-fille de la comtesse Laure de Chévigné (l’un des modèles d’Oriane de Guermantes).
[2] Pierre Démeron, « Journaliste à la langue acérée » : note 2 de la p. 940, due à Herbert Lugert (ancien compagnon de Matthieu Galey, de 1963 à 1972), selon la note de l’éditeur p. vii