SOUTENANCE D’ALEXANDRE ANTOLIN
Lundi 18 novembre 2019
« “La société se dresse avant que mon livre paraisse” : étude d’un cas de censure éditoriale dans les années 1950 : Ravages de Violette Leduc. »
Compte-rendu par Mireille Brioude. Le 19 novembre 2019.
Dans son exposé liminaire, Alexandre Antolin rappelle ce qui l’a motivé à travailler sur Violette Leduc, ensuite il fait part des difficultés qu’il a rencontrées et la manière dont il a dépassé les obstacles qui se dressaient devant lui et enfin il rend hommage à Catherine Viollet et à Françoise d’Eaubonne, figures tutélaires de l’entreprise qu’Alexandre mène pour la restauration de l’œuvre censurée de Violette Leduc : Ravages.
Une rencontre éblouie : telle est la teneur de la relation passionnée qu’Alexandre entretient, à l’instar de tous les autres leducien·nes, avec l’œuvre et avec le personnage de Violette Leduc. Mais le traumatisme de la censure de Ravages, outre le reflet indirect qu’il offre dans l’œuvre de l’autrice, va bien au-delà des sentiments que cette injustice a pu susciter chez le jeune chercheur.
Pour mener à bien le projet qui consiste à éclairer la genèse de l’œuvre il lui fallut s’intéresser à deux aspects fondamentaux : la quête des manuscrits de Ravages et notamment les cahiers correspondant à la première rédaction de Thérèse et Isabelle ainsi qu’une véritable enquête sur les raisons de la censure éditoriale exercée par Gallimard.
La quête des manuscrits est un travail de longue haleine qui demande une grande disponibilité et une grande organisation matérielle. Il faut se rendre à l’IMEC, à Caen, en particulier pour consulter le fonds enrichi par Sylvie le Bon de Beauvoir en 2015. Il faut également consulter les manuscrits détenus par des personnes privées et enfin solliciter les ayants-droit de l’autrice.
À cela s’est ajouté un remarquable travail d’entretien avec les personnes spécialisées dans l’édition ou tout simplement avec les rares personnes qui ont connu Violette Leduc.
Le deuxième axe choisi par Alexandre est la confrontation pluri disciplinaire de l’étude du manuscrit et de la recherche historique et même socio-historique.
Sous l’égide de Florence de Chalonge, Alexandre aborde les aspects littéraires de sa recherche, sous l’égide de l’historienne Florence Tamagne, il en aborde l’aspect historique.
Car il s’agit de contextualiser le geste des censeurs éditoriaux, celui de la direction de Gallimard en 1954. Pourquoi en sont-ils venus à prévenir la censure légale en supprimant la première partie de Ravages, c’est-à-dire la liaison érotique entre Thérèse et Isabelle, en réduisant l’avortement à quelques pages alors qu’il s’agissait pour Violette Leduc de mettre un terme à une grossesse de cinq mois et demi ? Pourquoi passer sous silence la très violente scène du viol dans le taxi ?
L’étude du contexte social de l’après-guerre peut le faire comprendre. Les lois de censure de 1939 puis de 1949 sont sévères : il s’agit de rétablir l’ordre moral en France. Nulle question de libération des femmes, même après la parution du Deuxième sexe, nulle question de cautionner l’avortement en cette période maternaliste. Nulle question enfin et surtout, de permettre que soient évoquées, dans leur quotidien, les amours au féminin.
Les raisons sont donc à la fois d’ordre historique, sociologique et psycho-sociologique.
Alexandre s’est en outre intéressé à l’histoire de l’édition et à la production littéraire française de l’après-guerre. Comparant Ravages à Bonjour Tristesse et à Histoire d’O, il a pu cerner les limites imposées par la censure à d’autres écrits jugés tantôt libertins, tantôt scandaleux.
Une fois ce long travail effectué et les résultats couchés dans une production universitaire conforme aux lois du genre, Alexandre a eu le désir, certes bienvenu, de proposer une édition du manuscrit complet de Ravages. Ce projet, que j’ai pu feuilleter à la fin de la soutenance, comprend toutes les parties ôtées de l’œuvre publié en 1955, avec un passage parfois publié à part comme « la main dans le sac » qui avait fait l’objet des soins de Catherine Viollet. « Thérèse et Isabelle » y retrouve sa place initiale, les « lignes de points » masquant la scène du « taxi » sont comblées par le récit initial. L’avortement enfin est repris dans son déroulement intégral.
Le jury salue à l’unanimité la cohérence de la thèse et du projet de publication en 2022 aux éditions Gallimard, dans la collection l’Imaginaire.
Les membres du jury, prennent tour à tour la parole, comme il se doit, apportant de précieuses informations liées à leur spécialité.
Mme Florence de Chalonge apporte des précisions quant à la problématique de l’inscription de Ravages dans un genre littéraire. La catégorie « roman » étant, certes, bien insuffisante, on pouvait, avec Catherine Viollet, percevoir l’œuvre comme « un roman d’apprentissage au féminin ». Les catégories élaborées autour des années 2004 à 2010 offrent un questionnement autour des notions « d’autofiction » et de « roman autobiographique » ce dernier terme étant aux yeux de Florence de Chalonge le plus approprié à une écriture du moi qui se voile à peine sous une fiction très proche de la réalité.
Mme Florence Tamagne souligne le caractère double de la thèse : une thèse à la croisée de l’histoire et de la littérature et de l’histoire du genre et des sexualités s’appuyant sur les archives historiques ainsi que sur une base de donnée et enfin sur la consultation d’archives administratives telles que celles de la Préfecture de police de Paris.
Ainsi Alexandre nous brosse-t-il en contexte la situation de l’édition, durant la guerre et dans l’après-guerre en se focalisant particulièrement sur la loi de juillet 1949, qui créé la Commission de contrôle des publications destinées à la jeunesse et à l’adolescence.
Après le témoignage des directrices de la thèse Mmes Florence de Chalonge et Florence Tamagne, c’est au tour de Mme Danielle Constantin, généticienne, de rappeler les difficultés de la critique génétique. Elle rappelle la constitution du groupe de l’ITEM consacré à Violette Leduc autour de Catherine Viollet. Elle souligne le travail de pionnière de celle-ci sur les manuscrits de Violette Leduc. Danielle Constantin souligne que la recherche génétique est toujours vivante grâce à la dernière publication dirigée par Anaïs Frantz et bien entendu au travail d’Alexandre Antolin qui fait désormais partie de l’ITEM.
Après une courte pause, le spécialiste de l’histoire de l’édition française, Jean-Yves Mollier rappelle les rivalités à l’époque du début de la rédaction de Ravages entre Gallimard et d’autres maisons d’édition. Il nous éclaire sur les listes noires de livres fournies aux allemands pendant la guerre, qui jettent une lumière sinistre sur le comportement des censeurs, puis sur leurs ambiguïtés dans la période de l’après-guerre. Il répond ainsi directement à la question posée par Alexandre Antolin sur les raisons, plus ou moins obscures, des comportements censoriaux, y compris vis-à-vis des écrivain·es homosexuel·les.
Yannick Chevalier (Université de Lyon 2) co-auteur d’Ecrire le genre, revient justement sur le traitement de la question du genre dans la thèse d’Alexandre. Il souhaite recentrer les lectures contemporaines parfois tentées d’interpréter de manière anachronique des problématiques stylistiques personnelles, ancrées dans un contexte précis. La meilleure manière de procéder à ce recentrement étant de relire l’œuvre publiée, en l’occurrence le Ravages de 1955 en faisant la part des choses entre la genèse manuscrite et ce que les lecteur·trices ont et ont eu à percevoir dans le temps de leur rencontre, forcément subjective, du texte publié.
Sylvie Chaperon, Présidente du jury, clôture ce bel après-midi par sa connaissance approfondie de Simone de Beauvoir et de l’histoire du mouvement féministe. Elle remet particulièrement en questionnement ce qui reste un mystère : la part de Beauvoir dans l’élaboration de l’œuvre de Leduc : ses (supposées) coupures dans les manuscrits mais, surtout, son aide bienveillante et permanente : ce qui seul, constitue une certitude.