A tout à l’heure par Daniel Depland

 

 

À tout à l’heure

Hommage – 30/10/2013 par Daniel Depland (1430 mots)

Hommage. Quelques mots et souvenirs envoyés à Violette Leduc par un écrivain qui en fut, jeune homme, l’ami proche.

Violette, qu’avez-vous encore à encombrer ma tête? Vous êtes là, sans voix sans visage, sous la forme de l’humeur noire de vos éternels tourments. Je ne connais plus de vous que votre absence, et vous êtes là, tenace comme une insomnie, à tenir ma pensée en otage. Votre souvenir m’assiège, m’enferme sur moi-même ainsi que dans un château hanté. Vous êtes là, à empoisonner ma mémoire jusqu’à ce que je tombe malade de vous. Espérez-vous que je vous rejoigne avant l’heure prévue? Qu’attendez-vous de moi?

Souvenez-vous, le jour de votre mort je n’ai pas pleuré. Le silence palpable qui rendait votre immobilité inacceptable me punissait. Vous vous vengiez sur moi de votre chienne de vie en m’imposant le cadavre de l’amour meurtrier que je vous portais. Je vous contemplais comme si je m’étais débarrassé de vous par inadvertance, vous avais gommée de ma vie par maladresse.

J’aurais pu aussi bien vous avoir poussée dans un ravin à la lisière des bois où vous faisiez l’amour avec vos mots loin de moi et l’avoir oublié aussitôt. Je me suis dit que vous étiez partie juste à temps parce que j’étais las de vous, de votre grand guignol d’immolée ; votre panier en osier, esseulé sur la table de votre cuisine, n’y a pas cru. La nuit, souvenez-vous, je suis revenu vous voir et je n’ai pas pleuré non plus. Je me suis faufilé dans votre maison pour vous surprendre, commettre un sacrilège dont je serai la première victime. J’aurais voulu vous rendre folle, ressusciter vos délires de femme seule, vous entendre dire qui est là et tomber en prières aux pieds de votre fragilité.

Je n’étais là que pour abuser de vous, voyou d’entre les voyous que vous recueilliez à la sortie d’un livre de Genet ainsi qu’une mère à la sortie d’une école – palper votre malheur d’antan en palpant votre gros pif ; malmener votre corps de pierre de vieille belle au bois dormant qu’aucun baiser n’aurait su arracher à son sommeil ; vous violer, si j’avais pu bander, pour vous maintenir de force sur cette terre.

Plus que ivre, j’étais saoul. De ces saouleries qui font du chagrin une symphonie. Quand je suis reparti, souvenez-vous, vous n’avez pas supporté que je vous abandonne à la nuit dont vous ne sortiriez plus. Vous avez rattrapé la mienne à travers les rues de Faucon désert (1) coiffé de votre mort, je sentais dans mon dos votre âme en deuil de votre chair se cramponner à la mienne. Cherchiez-vous à me retenir, à m’entraîner à votre suite là où vous ne vouliez pas aller, j’ai dû vous dire Violette il faut me laisser vivre.

Combien de fois m’aviez-vous enterré avant que je ne vous enterre, persuadée que la mort avec laquelle je faisais la course, au volant d’une voiture aussi hasardeuse que vous, m’attendait au tournant. Vous chérissiez les frayeurs que je vous causais, à me voir blessé de guerre d’accident en accident, comme si vous-même l’aviez échappé belle. Les risques que je prenais vous séduisaient plus que moi. Que je me mette en péril vous fortifiait, vous n’étiez plus, le temps de quelques heures, seule à seule avec votre souffrance d’être en vie. Rassasiée de mes excès, pensiez-vous aussi à vous en me demandant si je voulais vivre ou mourir.

Je voulais vivre, vous ne l’avez pas entendu.

Vous avez cru voir ma destinée prendre corps sous vos yeux le jour où elle s’est imposée à vous sous les traits d’un fossoyeur, un petit bâtard de Dickens que j’avais ramené dans mes bagages. Tout ce qu’il y avait de plus vivant. Repliée sur vous-même, vous observiez de loin un oiseau de mauvais augure perché sur mon épaule.

Vous étiez née pour être abandonnée

Il ne parlait pas votre langue, vous n’étiez pas faits pour vous comprendre, mais quelle langue pouvait parler la mort en maraude qui l’auréolait. L’avais-je rencontré, attiré, à seule fin qu’il creusât ma tombe, et la vôtre avec, en entretenant malgré lui le feu de votre enfer. Un croque-mort n’avait pas le droit d’être beau, il l’était. Son regard aussi, d’un bleu insupportable où vous pensiez voir se refléter la laideur de votre exclusion. Il ne savait ni lire ni écrire, vous étiez vaincue. Il était mon héros, il serait votre supplice. Le moindre de ses sourires vous mettait au pilori. Ses silences vous révoltaient, pourquoi vous persécutait-il, responsable qu’il était de ma trahison. Vous le regardiez comme s’il n’avait jamais dû exister, comme si je l’avais inventé pour astiquer votre malheur : vous étiez née pour être abandonnée. Vous pleuriez sur vous-même, c’était dégoûtant. J’aurais préféré que vous me poignardiez. Délestée du poids de vos larmes, vous me mettiez en garde : vos sentiments à mon égard étaient violents. Que vous puissiez m’aimer me faisait mal. Un malheur ne pouvait qu’arriver. « N’as-tu pas peur qu’il te tue ? », me demandiez-vous. Vous sembliez le souhaiter. Nous continuions, au-delà de nos orages, de partager le goût de l’absolu. Je vous répondais que je n’attendais que ça.

Souvenez-vous, vous avez pris les devants.

Vous aviez dû, ce jour-là, laisser orphelins vos mots sous la pluie dans les bois. Vous le pardonneraient-ils ? Vous avez poursuivi, sans cahier ni stylo, le fil de vos obsessions, ainsi que vous auriez rédigé, à l’encre sympathique, le scénario d’un film à la croisée de nos maladies mentales. Un film muet en noir et blanc. Brutalement court. Aussi brutal et court qu’un assassinat : le mien. Ou plutôt celui de Louis II de Bavière, dont vous m’aviez attribué le rôle, à la source de vos frustrations, au coeur de l’un de vos délires préférés. Un Louis II de Bavière pas encore assez fou pour tomber amoureux fou de vous, ni vous enlever pour s’enfermer avec vous dans les châteaux de votre imaginaire. Assez fou cependant pour se laisser envoûter par un fossoyeur. Le temps que vos gémissements, vos pleurs, voudraient bien le supporter. Pas trop longtemps quand même car « l’Inévitable » n’aurait su patienter : vous. Un rôle de géante invulnérable. L’Inévitable – ou l’aînée des trois Parques qui n’avait de cesse de couper le fil de la vie -, vous refusiez de porter son nom latin : Morta, « ça pourrait me porter malheur », disiez-vous alors que votre propre temps était compté, et puis quoi, Atropos, son nom grec, avait du chic. Vous en aviez l’humeur ensoleillée. Maîtresse de la situation, la femme humiliée, en reprenant ses droits, reprenait des forces. Je ne dépendais plus que de vous sous le masque de Louis II de Bavière, ma vie ne tenait plus qu’au fil que vous étiez appelée à couper dès que votre paranoïa prendrait le dessus. Un simple coup de ciseau et Louis II de Bavière succomberait sur le champ sous les coups d’un fossoyeur pour l’avoir trop aimé.

Toute élucubration, une fois élaborée, cesse d’être excitante, voire tombe à plat, dès qu’il s’agit de la concrétiser. Trouver une tenue appropriée digne de l’Inévitable n’était pas une mince affaire. On en oubliait pourquoi on se faisait du cinéma. La tragédie annoncée tournait à la farce. Avait-on déjà vu une Parque, liberté à l’air, nue sous une chemise de nuit transparente ? Affublée d’un loup en satin noir orné de part et d’autre d’une fleur de glaïeul rouge ? Votre nez en paraissait deux fois plus gros ; vos cheveux filasses, suivant les fluctuations de la lumière, prenaient la texture d’une toile d’araignée. Vous aviez l’air d’une folle, pis : une vieille piquée. Votre sens du comique vous évita d’être plus pathétique encore en fondant en larmes. Passée au-delà du grotesque, vous étiez saine et sauve, vous pouviez en rajouter en barbouillant vos joues de rouge à lèvres : plus de laideur, plus de moqueries possibles. Seul vous préoccupait votre pubis : le voyait-on ?

Souvenez-vous : bang bang… Sheila ! Avez-vous oublié ? « Tu me tuais : bang bang », chantait Sheila à l’époque. On crevait l’oeil des malédictions et il en jaillissait des rires. Assassins ou assassinés se devaient d’être passés à la moulinette de la dérision. La Parque, souvenez-vous, s’était munie, en guise de ciseaux, d’une poêle à frire qu’elle frappait à l’aide d’une cuillère en bois : bang bang. La Parque m’avait accordé un sursis. Le fossoyeur enterrerait sa pelle.

Aujourd’hui je suis toujours en sursis, et vous, toujours là dans ma tête. Vivrions-nous en concubinage en dépit de nous-mêmes, en victimes qui ne demandent qu’à l’être, en bourreaux qui se défendent de l’être. N’avons-nous jamais été plus proches à présent que j’ai un pied dans votre tombe.

Par Daniel Depland

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