Un parcours émaillé de livres exigeants, audacieux – et dont la prose poétique n’a trouvé que très tard, après plusieurs échecs cuisants, un grand succès public. Avec La bâtarde en 1964, qui aurait dû recevoir le prix Goncourt s’il n’avait effrayé certains jurés le jugeant trop scandaleux. « On ne peut pas mettre ce livre sur la cheminée d’une famille », s’était ainsi écrié Roland Dorgelès…
Quarante et un ans après la mort de Violette, Martin Provost nous offre un film rigoureux et raffiné, ne cédant jamais à la facilité. Le regard apaisé du cinéaste convient en effet parfaitement. On pouvait craindre tout le parti hystérique que d’autres réalisateurs auraient été tentés de prendre avec un tel sujet. Tout est au contraire soigné, minutieux, précis et fidèle, tant à l’œuvre qu’au personnage baroque qu’était Violette Leduc. Martin Provost prend aussi le temps de nous faire entrer dans la relation riche et complexe qui a uni ces deux grandes écrivaines : Simone de Beauvoir et Violette Leduc.
Emmanuelle Devos est une époustouflante Violette tout en ne recherchant pas le mimétisme. Certes, elle a accepté de s’enlaidir mais n’a aucunement tenté d’imiter la voix plutôt grave ni le phrasé trainard de Violette. Elle a tout compris du personnage et restitue parfaitement toutes les facettes de cette « petite fille étonnée et vieille fille roublarde », comme l’écrivait Pierre Kyria dans un article hommage de Combat. Sandrine Kiberlain est une fabuleuse Simone de Beauvoir, qui a enfilé avec un bonheur évident les habits du « Castor ». On est subjugué par ce « Castor », par sa voix au débit rapide, sa démarche élégante, sa rudesse, sa compassion, sa bienveillance – mais aussi son humanité envers la « femme laide », qu’elle soutiendra matériellement et psychologiquement pendant près de vingt ans.
Les autres acteurs sont également au rendez-vous. La grande Catherine Hiegel campe la mère de Violette, d’allure altière mais pouvant déraper dans une certaine vulgarité, impitoyable avec sa fille mais également aimante. Jacques Bonnaffé est épatant dans le rôle de l’écrivain voyou Jean Genet. La relation affectueuse, tumultueuse et complice entre ces deux bâtards de génie : tout y est. L’écrivain canaille Maurice Sachs est joué fiévreusement par Olivier Py : Violette Leduc s’était laissé entrainer en Normandie par ce Maurice qui l’avait initiée au trafic des « années noires » – la scène où ce « drôle » fuit « l’emmerdeuse » est merveilleusement pathétique. Étonnante aussi la composition d’Olivier Gourmet, dans le rôle du richissime parfumeur, collectionneur et mécène « radin » Jacques Guérin. Là aussi, Martin Provost n’a pas cherché la ressemblance physique. Olivier Gourmet fait apparaitre toute la rigidité, la patience, mais aussi la sensibilité, voire la fragilité, du seul homme que Violette ait aimé.
Merci à Martin Provost de nous avoir rappelé ou convaincu que Violette Leduc est l’une des plus grandes voix de la littérature française du XXe siècle.
Jean-Claude Arrougé