Critique Pierre Murat Télérama

LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 06/11/2013

Pierre Murat, Télérama. N° 3330

 

Hier, Séraphine de Senlis, aujourd’hui, Violette Leduc. De toute évidence, Martin Provost aime les cabossées, les provocatrices, les rejetées : celles qu’on enferme (dans un asile ou en elles-mêmes) pour les empêcher de peindre ou d’écrire. Pour lui, Séraphine et Violette sont des soeurs jumelles, unies par leur laideur et le peu d’amour qu’elles suscitent autour d’elles. Et en elles. Il les filme de la même façon : saisies de près ou de loin par de longs travellings, elles marchent, elles marchent sans cesse, elles ne font que marcher vers un but qui se dérobe. Elles sont abruptes, pas faciles et même carrément insupportables (sur le tournage, Emmanuelle Devos qualifiait son personnage d’« attachiante » !), mais, curieusement, c’est en scènes lentes, presque calmes que le cinéaste traduit leur emportement. C’est que la force des sentiments passe, chez lui, par une sagesse (parfois excessive) de la forme.

De la vie de son héroïne, le cinéaste privilégie le lien étrange, amoureux pour l’une, amical pour l’autre, que Violette noue avec Simone de Beauvoir. Ces deux femmes, il les filme comme deux blocs de solitude. Violette semble à jamais exilée dans une chambrette qu’elle déteste, le plus souvent encombrée d’une mère adorée et haïe ; Beauvoir, elle, déménage d’un appartement l’autre, dont les salons apparaissent de plus en plus sombres et nus : elle est loin de Sartre, des mondanités et de ses amours américaines. Ce sont deux monstres littéraires qu’on observe, rigoureusement opposés, liés, cependant, par la certitude du talent de l’autre. Entre Emmanuelle Devos, actrice de l’imperceptible, et Sandrine Kiberlain, impassible, un masque impénétrable posé sur le visage, les rencontres deviennent des moments fascinants dans leur épure même. Leur irréalisme absolu.

D’ailleurs, c’est lorsqu’il se met en quête de réalisme (la voix de Louis Jouvet sur une scène de théâtre, Jacques Bonnaffé qu’il tente désespérément de faire ressembler à Jean Genet…) que Martin Provost se plante. Ce qu’il réussit, en revanche, magnifiquement, c’est filmer ces moments de la vie de Violette comme du temps arrêté — que souligne la musique planante d’Arvo Pärt. A tel point que, lorsqu’au milieu des années 1960, après le triomphe de La Bâtarde, elle rencontre l’amour, le jeune homme qu’elle prend pour amant semble sortir d’un film des années 1930. De l’enfance de Violette. Ou de son imaginaire. —

Pierre Murat

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