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Masa pour Fluctuat, revue en ligne, 6 novembre 2013

Violette, le biopic signé Martin Provost, se penche essentiellement sur sa relation complexe à Simone de Beauvoir. Mais il y a bien d’autres choses à raconter sur Violette Leduc, bâtarde et écrivaine de talent, femme « laide » et délurée, pourfendeuse des bonnes mœurs mainte fois censurée. Retour sur un personnage haut en couleurs qui a côtoyé Genet, Cocteau ou Marais.

Comme Andy Warhol, Violette Leduc fait partie du club très sélect des artistes à perruque. La couleur est plus discrète que celle blonde platine de Drella,  mais pour ce qui est de la provoc’, Leduc tient la distance. En public et en cas de morosité ambiante, elle n’hésite pas à soulever sa moumoute. Effet capillaire garanti. De quoi chiffonner le turban du Castor.

La laideur en bandoulière

A part ce postiche, Leduc porte aussi des minijupes et un maxi boa fuchsia du plus bel effet. Elle assume crânement son côté rock star sur le retour. Elle qui ne goûte au succès que tardivement avec la sortie de La Bâtarde en 1964. Après trente ans de galère miséreuse. Ajoutons pour parfaire le portrait qu’elle s’est fait refaire son « nez de demi-carême ». Le tout a plutôt l’air de l’amuser. L’œil se fend d’une lueur rieuse sous la paupière lourde. On aurait bien envie, nous aussi, de rire un peu avec « la femme laide », comme la désignait Beauvoir dans sa Correspondance. Laide mais avec classe. C’est plus chic. Elle porte sa laideur en bandoulière, comme son sac à main. La laideur haute couture, toute en strass et paillettes. A ses débuts Violette Leduc écrit d’ailleurs pour plusieurs magazines de mode. Elle fait une apparition dans Qui êtes-vous Polly Maggo ? de William Klein en robe Paco Rabanne. Non vraiment, les couvertures blanches de chez Gallimard sont d’un triste. Comme le rappelle René de Ceccatty dans son Eloge de la bâtarde réédité chez Stock, lorsque Leduc, en début de carrière, écrit une nouvelle, elle décrit les paillettes des escaliers du métro. Ces fines particules scintillantes qui se mêlent au ciment du sol. « Nous scintillons à travers nos crachats« . Vanity glaire.

Une fille à pédé

Dis-lui oui, Andy. Car Violette était une fille à pédé. Du genre plutôt collante. Maurice Sachs en a tellement marre de l’entendre pleurnicher sur son épaule qu’il l’invite à aller s’asseoir sous un arbre pour y coucher sur papier ses tourments. Lui n’en peux plus d’écouter ses  plaintes continuelles. Début d’une vocation. Il en profite pour l’initier au marché noir en Normandie. Ca peut toujours servir sous l’Occupation. Après Sachs, c’est au tour de Jacques Guérin, le parfumeur-collectionneur. Elle lui brode des pochettes et aimerait bien qu’il lui offre un manteau en poils de lapin (l’anecdote est rapportée par Carlo Jansiti dans sa biographie de chez Grasset). Il sera plutôt  généreux avec l’écrivaine. Au point de déclencher des crises de  jalousie chez Genet. Cet enfant de l’assistance publique fréquente lui aussi le richissime mécène Guérin. L’admiration entre les deux écrivains est réciproque. Violette ne tarit pas d’éloge sur le génie littéraire de Genet. Elle est tout autant admirative de son comportement : « Genet embrasse Lucien. Repopulation zigouillée« . Au climax de leur relation, Jean Genet dédie à Violette sa pièce Les Bonnes. Fin du pink paradise. Violette n’apprécie pas l’hommage, Genet la traite d’emmerdeuse. Elle n’en continue pas moins d’adorer les hommes en robe et un prêtre en soutane surveillant la baignade d’une colonie de vacances la ravit. Il reste bien Cocteau, avec lequel il est difficile de se fâcher. Cocteau est bienveillant, Violette se tape l’incruste chez lui et n’hésite pas à squatter le lit de Jean Marais.

Lesbianisme et censure

Dès sa première parution, Leduc est censurée. Les éditions Gallimard s’en prennent aux passages consacrés à Thérèse et Isabelle dans le manuscrit de Ravages. Les pages décrivent les amours de deux collégiennes. Dans la fiction, les jeunes filles craignent que leur lit ne grince. Elles en viennent à abriter leurs amours au sein d’une maison close pour éviter le pensionnat. Et  croisent l’œil grivois d’un client. Qui ressemblerait peut-être à Jacques Lemarchand du comité de lecture Gallimard : « l’histoire des collégiennes pourrait à elle seule constituer un récit assez envoûtant si l’auteur consentait à entourer d’un peu d’ombre ses techniques opératoires« . En avance sur son temps, Leduc, qui expose sa sexualité en pleine lumière, refuse à la fois le placard et le lesbianisme d’antichambre. Il fait pourtant fantasmer un certain lectorat masculin. Pornographie pépère, « faux mélange de sperme et de matière grise« , selon Leduc. Cet épisode sera exploité dès 68 dans un très mauvais nanar de Radley Metzger. Le film est symptomatique d’une forme de voyeurisme désuet. Violette Leduc est une pionnière. Ses descriptions sont prises en ciseau entre le film érotique de fin de soirée et les réécritures de Beauvoir qui, rappelons-le tout de même, compare le lesbianisme a du pâté, de pas très bonne qualité. En correctrice avisée, elle remplace la flatteuse de Leduc par la langue. Biffant pour le coup le caractère à la fois imagé et voluptueux d’un cunnilingus. Rendons toutefois à Simone ce qui est à Beauvoir. Dans sa Préface à La Bâtarde, S de B voit juste : « Elle choque les puritains et n’est pas assez croustillante pour les cochons« . Le Castor était moins douée pour les envolées lyriques que pour les synthèses conceptuelles (idéale pour les contrats dans le rôle de la maîtresse SM dominatrice, à côté Catherine Robbe-Grillet a des allures de comtesse au petit fouet).

Son quart d’heure de célébrité

Au milieu de sa kitchenette de la rue Paul-Bert, dans le XIe, entre le lavabo et le ballon d’eau-chaude, Leduc nous fait partager son quotidien grinçant : ses fétiches, l’argent, les ménages, les gants à vaisselle. Elle écrit sur des cahiers d’écolier à la plume Blanzy-Poure. Attendant avec une  fébrilité érotique les retours de S de B. « Ménagère pendant que j’écris. Ecrivain pendant que je lave le parquet » (La Chasse à l ‘amour). Elle nous toise à l’aune de son escabeau de bois, et lave son linge sale en public. On l’imagine distillant ses petites phrases en bout de table avec un ramasse-miettes en argent (qu’elle finira par embarquer en douce car elle fut également une merveilleuse travestie cleptomane). Leduc, dont les premiers livres ne se vendent pas, en connait plusieurs rayons en matière de pilonnage.  Rares sont les écrivains de son temps qui y échappent. Gide : « L’homme de lettres dans toute son horreur étriquée et c’est mal écrit » et Yourcenar : « ronronnante de rhétorique« . Dans La folie en tête elle décrit les mœurs de Cocteau fricotant avec son chien. Irrésistible de vacherie.

La bâtarde et les salauds

Marthe Robert distingue deux types d’écrivains : les bâtards et les enfants trouvés. Les enfants trouvés, éternels déracinés, esquivent le combat par la fuite. Ils ont le goût du voyage et des échappées fictionnelles. Les bâtards réalistes, quant à eux, affrontent le monde pleine face et toutes dents dehors. Leduc fait partie de cette seconde catégorie. Elle est la fille d’une femme de ménage (Berthe, qui ne lui a  « jamais donné la main ») et d’un fils de famille de la haute-bourgeoisie valenciennoise « qui donnait son linge à blanchir à Londres« . Se revendiquant elle-même THE big bastard, elle accomplit un empowerment exemplaire. Genet, son frère en bâtardise, mord systématiquement les mains qui se tendent vers lui. Il prétend qu’il n’a rien compris au pavé pondu par Sartre sur son œuvre. L’air goguenard, le bagnard explique aux journalistes que c’est gros et compliqué. Violette a aussi ses moments de révolte, elle supplie : « Tais-toi, Simone. Tais-toi. » Pourtant Simone de Beauvoir aurait bien aimé avoir elle aussi sa Sainte Violette, comédienne et martyre. Heureusement, les bâtards sont peu reconnaissants envers leurs géniteurs. Qu’ils soient réels ou symboliques, les géniteurs restent des salauds, au sens existentialiste. Les bâtards se reconnaissent entre eux mais ne sont jamais reconnus, ni par leurs parents, ni par l’intelligentsia. Ils ont le crachoir facile. Les bouquins, ils se les passent en contrebande, ou ils les volent, toujours sous le manteau. Comme Genet, Leduc haïssait les livres volumineux, ceux qui sont posés sur les belles cheminées.

Une vie de merde qui fait rire

Leduc arbore un style qui dynamite les poncifs. Y compris ceux sur la féminité. Victimaire ? Masochiste ? Affirmatif. Parano ? No comment. Elle vous confine, elle vous confit, elle vous enrobe dans ses plaintes et vous décoche une image d’une beauté fulgurante. Au milieu d’un flow de jérémiades (presque en mode biblique, dans le style « mon père pourquoi m’as-tu abandonné ?« ) elle entonne ses litanies liturgiques, sur l’air du « Moi si j’étais résiliante« . Puis monte crescendo « … je m’en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m’ont torturée« . Psalmodions en chœur : j’ai tout raté, je suis une bouse, une « limace sous mon fumier », je parle aux chaises vides dans les églises de quartier. Attention les églises de quartier, hein, pas les cathédrales. Parce que sa cathédrale à elle, c’est Beauvoir. En  évoquant sa vie de merde, elle nous fait rire. Catherine Violet, qui a fondé un groupe de recherche consacré à l’œuvre de Leduc au CNRS, insiste sur le côté pétillant, croustillant de son écriture. Inconsolable et gaie, Violette Leduc se mouche dans ses doigts, grimace sous ses larmes et en profite pour vous tirer la langue. Le très beau documentaire d’Esther Hoffenberg, Violette Leduc, la chasse à l’amour, nous la restitue dans toute sa truculence de desesperada. Gallimard, Beauvoir, et bien d’autres ont eu raison de se méfier d’elle. Cette petite vieille est une sale gosse. Violette Leduc n’en finit pas de faire sa révérence. Les yeux dans les yeux, elle prend ses lecteurs à témoin ou à la gorge, peu lui importe, et soulève sa moumoute miteuse comme un chapeau haut-de-forme. Perruque basse, verbe et tête hautes.

MASA

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